Je ne sais pas vous, mais moi, je me suis souvent demandé pourquoi les femmes partout dans le monde étaient asservies et opprimées (dans le meilleur des cas), agressées, violées et tuées (dans le pire) et pourquoi cela paraissait normal (en tout cas jusqu’à il y a peu) à tout le monde. Au point qu’on dit depuis la nuit des temps aux filles de « faire attention », mais qu’on n’exhorte pas les garçons à ne « pas violer » ou harceler. Pourquoi?
J’ai souvent pensé – et j’ai découvert récemment que d’autres avant moi aussi – qu’on payait une sorte de crime ancestral commis à une époque peu documentée où le monde entier aurait été un matriarcat. Et nous, de vraies matrones. Qu’on aurait été – en ces temps reculés dont personne n’a le moindre souvenir, ni témoignages quelconques et que notre imaginaire ne fait pas correspondre aux sociétés matriarcales connues* – de vraies salopes et qu’on en aurait tellement fait baver aux hommes que, depuis, ils se vengeraient. Outre le fait que cette hypothèse ne paraît être étayée par rien, si elle était avérée, une seule conclusion: on paie. Cher. Et depuis longtemps. Très. Trop.
J’ai aussi imaginé (et d’autres avant moi) que les si les hommes avaient pris le pouvoir, c’est que leur force physique et leur grande taille le leur avait permis. C’est partir du principe que les hommes sont biologiquement conçus pour être plus grands que les femmes, un postulat très sérieusement remis en cause par la Docteure en anthropologie sociale, Priscille Touraille. Dans sa thèse*² qui ne date pas d’hier (2008, mais à l’échelle de l’évolution et des idées préconçues, c’est tout comme), les femmes auraient été discriminées dès l’âge des cavernes en étant privées de protéines. Occupées à porter les enfants et les nourrir au sein, les femmes auraient eu moins accès à la nourriture, les hommes se gardant leur part de chasse, ces protéines qui font grandir. La construction sociale qui s’en suivit fit que les femmes et hommes se choisissent – en dépit du bon sens, il suffit d’avoir accouché une fois ou deux pour se rendre compte qu’il serait meilleur de ce point de vue-là d’être plus grande – en fonction de leur taille, l’homme « devant » être plus grand.
Qu’est-ce qui donc fait que les hommes, massivement et partout, attaquent les femmes dans leur chair, leur âme (qu’elles n’ont pas obtenue facilement, rappelez-vous, à peine considérée comme un animal, la femme à une époque), leur énergie vitale et les détruisent (car le viol est une destruction de l’être, un anéantissement de la personne)? Je n’ai pas la réponse à cette question.
Ce qui est sûr aujourd’hui, c ‘est qu’avec les hashtag #MeToo et #BalanceTonPorc, on ne peut plus ignorer que l’immense majorité des femmes subit cela au quotidien, des milliers de fois dans une vie et que ce n’est pas juste l’histoire de quelques lourdeaux mal embouchés, mais bien celle d’une société construite sur l’idée que les hommes ont ce genre de droits-là: emmerder les femmes.
Ce que je constate, c’est que les adolescentes, à l’âge où elles subissent les premiers regards lourds et visqueux, les premières réflexions graveleuses, les premiers harcèlements de rue (voire plus proches d’elles, à l’école!), sont drôles, vives, pleines d’énergie et bien plus délurées que leurs petits camarades, encore occupés à jouer à la guerre des boutons et à les reluquer en coin. Qu’à journées faites, elles rient à s’en décrocher la mâchoire, qu’elles s’aiment et se câlinent, qu’elles font du bruit et sont gaies.
L’agression sexuelle potentielle et le harcèlement assuré rendent la vie de ces jeunes filles précaire et dangereuse. Cette sensation de danger chaque fois qu’elles sortent de chez elles (quand dans leur foyer, elles sont chéries et protégées!), éteint chaque jour un peu plus la joie de vivre primitive qui les habitait avant que de se retrouver avec des seins sur le torse. Ça m’attriste.
Si comme moi, la théorie qu’une simple – mais sévère! – jalousie serait à l’origine de ce déferlement de haine surréaliste, vous paraît un brin tirée par les cheveux, il reste quoi comme explication? Rien. Ce ne serait qu’une forme d’opportunisme qui nous aurait portées là, à ce stade où le simple fait d’être une femme nous met en danger? Et ben, merde alors!
*Les sociétés matriarcales à travers le monde,
de Mircea Austen pour Mademoiselle.com, 18 septembre 2014
*² Hommes grands, femmes petites: une évolution coûteuse.
Les régimes de genre comme force sélective de l’évolution biologique,
Editions de la maison des sciences de l’homme, 2008